Sous le regard d’un observateur attentif réfugié dans l’obscurité qui baigne une partie de l’espace scénique, un jeune homme tournoie, tel un pendule, au dessus du sol, survolant par alternance la surface noire et réfléchissante d’un grand miroir d’eau rectangulaire.
Ses bras, déployés au dessus de sa tête, prennent appui sur une perche métallique suspendue dans les airs mais dont l’une des extrémités est plantée comme une flèche oblique dans le liquide noir. Il court au ralenti, mais la force centrifuge qui l’entraîne donne un sentiment de vitesse ; sa foulée est large et gracieuse, mais ses pieds ne touchent pas le sol ; tout juste l’effleurent-il parfois pour relancer sa course et l’ampleur des cercles aériens que son corps imprime dans l’espace. La performance est particulièrement saisissante lorsque l’acrobate est au dessus de l’eau ; ses pieds semblent prendre appui sur leurs propres reflets, créant un écho visuel qui a l’effet hypnotique d’un mantra. Simplicité de la forme, circularité des motifs, répétition du mouvement, mise en abîme par le miroitement, rythme composite où lenteur et vélocité coexistent, semi-obscurité du plateau insufflent à cette performance la force d’une vision onirique que rehausse un partition sonore minimaliste faite de cordes frappées ou de notes tremblées, aiguës et dissonantes.
Cette courte scène, issue du spectacle Sous le vertige[1] de la chorégraphe française Kitsou Dubois, illustre a elle seule la puissance d’évocation d’un mythe intime – l’envol – que la chercheuse en danse a rêvé avec et pour d’autres. Ce « rêve de vol qui nous donne notre première, notre seule expérience aérienne » selon Gaston Bachelard[2], ce rêve de « vol sans aile, (…) qui n’a pas besoin de copier la réalité »[3] a amené Kitsou Dubois à faire, en 1990, avec le soutien du Centre National d’Études Spatiales (CNES), une expérience qui allait se révéler fondatrice dans son parcours et son écriture chorégraphique : le vol parabolique et l’accès à l’apesanteur. (suite de l’article)
[1] Spectacle créé en mars 2011 au Manège de Reims.
[2] BACHELARD (Gaston). 1943. L’Air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement. Paris. José Corti.
[3] BACHELARD (Gaston). 1952. Causeries. Radio France/Ina. CD.
Article publié in Bardiot C., Daurier R. (éd.). All Aliens. Valenciennes ; Besançon : le Phénix ; Subjectile ; les Solitaires Intempestifs, 2015. (Cabarets de curiosités).
All Aliens
Texte inédit en français de Douglas A. Vakoch ; textes d’Annick Bureaud, Maude Bonenfant, Romaric Daurier, Elsa De Smedt, Halory Goerger et Jean-Luc Soret ; contributions et portfolios de Kitsou Dubois, Lucien Rudaux, Frédéric Ferrer, Hippolyte Hentgen et John John.
Ce quatrième numéro de la collection Cabarets de curiosités prend pour point de départ la question de l’alien dans les arts vivants et visuels, pour interroger les bouleversements sur l’identité et le vivre-ensemble.
Direction éditoriale : Clarisse Bardiot et Romaric Daurier
Co-édition : Subjectile, le phénix scène nationale Valenciennes, Les Solitaires Intempestifs
Publication : janvier 2015
Graphisme : Designers AnonymesVersion imprimée :
128 pages ; 19 x 24 cm
Langue : français
Collection : Cabarets de curiosités
ISBN : 978-2-36530-023-0
Prix de vente : 18 €
CommanderVersion numérique :
Langue : français
Collection : Cabarets de curiosités
ISBN : 978-2-36530-024-7
Prix de vente : 4,99 €
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